Carnet de voyage


-->

              ETAPE 2 / 2012               


OUAGADOUGOU


Bienvenue à Ouagadougou! 

Après une journée entière passée dans l'avion, les aéroports de Lyon et d'Alger, le 30 juillet on atterrit enfin à 23h50 heure locale à Ouagadougou. On nous a bien dit que pendant la saison des pluies il fait plus frais, et que c'est donc plus agréable, mais honnêtement à la descente de l'avion ce n'est pas vraiment l'impression qu'on a eu... Une chaleur humide, étouffante nous accueille au point que pendant quelques minutes nous avons la sensation de suffoquer. Heureusement cette sensation devient imperceptible avec les jours qui passent, le corps s'habitue complètement à son nouvel environnement... bourré de moustiques d'ailleurs.

Les premiers jours se déroulent dans un va et vient continu... Il faut louer la moto qui sera notre moyen de déplacement pendant deux mois, installer les moustiquaires, faire découvrir à Sophie nos petits coins préférés de Ouaga et surtout revoir tout le monde. Faut savoir que la cour de la maison est constamment remplie de monde : les enfants qui nous connaissent depuis l'année dernière, les amis, les partenaires, les voisins, les amis des voisins, les comédiens de la compagnie de théâtre avec laquelle on travaille... bref les "nansarra" sont revenus dans les parages! On reçoit un accueil plus que chaleureux. La santé, ça va? Et la famille ça va? Et le papa ? Et les activités ? Ah Dieu merci! Et ça fait plaisir... en tout cas les premiers deux/trois jours car après on commence à être légèrement fatigués... faut savoir qu'en France on n'a pas tellement l'habitude de vivre en communauté mais quelque part cette habitude vient vite et je sais qu'au retour ça nous fera bien bizarre au début de nous retrouver seuls dans notre appartement. 

Au niveau de la nourriture, on redécouvre nos petits plaisirs : le poisson en face du stade de 4 août, le poulet avec sa sauce, les brochettes de mouton, l'atiéké qu'on a mangé tous les jours pendant quelques semaines l'année dernière et qui cette année ça nous a rendu malade... Et oui, avec la nourriture on découvre aussi les premiers vomissements et la première diarrhée. Rien de grave, juste de quoi être cloué au lit pendant 2 jours.

Bon, deux jours plus tard ça va déjà mieux et on est prêt à reprendre les ateliers. Les participants sont assez nombreux au point que Sophie et Anca ont trois groupes chacune pour la danse et le théâtre, alors que Julien travaille avec deux groupes pour le cinéma. On travaille donc tous les jours, un groupe le matin et un groupe l'après-midi. Entre les deux, on essaye de manger et de se poser un peu. Une fois qu'on a trouvé notre rythme ça va mieux: on se lève vers 7h50 tous les matins et souvent à 22h on est au lit... aller 23h quand on traîne vraiment! 
Le weekend on fait la grasse mat' et on en profite pour aller à l'internet au bar de l'Hôtel Indépendance....un hôtel de luxe qui pratique des tarifs 3 fois plus chers qu'ailleurs et qui bien évidemment est peuplé par les blancs riches mais qui a une bonne connexion wifi.
On prend donc un jus d'orange et on le boit lentement pendant quelques bonnes heures... histoire d'envoyer des mails, parler à la famille et mettre des photos sur facebook.

En attendant la suite des nouvelles vous pouvez regarder des photos sur facebook, et dans les différentes rubriques du blog.



KOKOLOGHO





              ETAPE 1 / 2011              

 

OUAGADOUGOU


Nous descendons de l’avion, passons la douane et récupérons toutes nos bagages. Première satisfaction. Tout est là sur le tapis non roulant en bois. Nous sommes attendus par Jules, un comédien de la compagnie de théâtre Marbayassa, avec laquelle nous étions entrés en contact avant de partir. « Bonne arrivée » ce sont les premiers mots que nous entendons et c’est avec ces mots là que nous allons être accueillis partout à chaque moment, preuve de l'hospitalité des Burkinabés. Jules nous met dans un taxi puis nous partons vers notre lieu d’hébergement. Nous n’avons pas le temps de comprendre la réalité qui nous entoure. La ville est plongée dans l'obscurité, les gens ont déserté les rues, le silence est saisissant.

Bruit. Cri du coq, motos, voitures, agitation… La ville est déjà réveillée depuis quelques heures lorsque nous partons découvrir Gounghin, le quartier dans lequel nous logeons. C’est l’effervescence ! Le quartier est très vivant et à notre grande surprise nous y croisons beaucoup de blancs. Ce n’est pas un hasard. La veille a débutée un grand festival d’art de rue dans le quartier, « Rendez-vous chez nous ».
Festival "Rendez-vous chez nous" / Spectacle d'art de rue
 


Ainsi, des troupes burkinabées se sont associées à des compagnies françaises pour l’événement. Et le public est venu en masse. Durant deux jours nous allons donc profiter des spectacles et rencontrer de nombreux artistes locaux et européens. A cette occasion des peintres burkinabés ont réalisé des oeuvres sur les murs du quartier.

Très vite nous allons nous rendre compte que Gounghin est réellement un quartier d’artistes : des compagnies de théâtre y résident, des galeries y exposent différentes oeuvres, des rencontres artistiques s’y déroulent régulièrement et une énergie incroyable se dégage à tout moment.  


Un exemple des peintures qui embellissent les murs de Gounghin

Le FESPACO, festival à deux vitesses

Une fois le festival d’art de rue achevé, les occidentaux sont retournés dans leur contrée. Pour une courte durée puisque va bientôt débuter le FESPACO, plus grand festival de cinéma d’Afrique, très prisé par les professionnels et les passionnés du cinéma africain. Cet événement dont nous avons suivi la préparation, se veut un événement populaire. En effet, il l’est, dans un certain sens. Au siège du festival, un petit marché a été installé, ainsi que plusieurs maquis (buvette/bar) qui fonctionnent jusqu’à des heures très avancées. Des concerts animent cette place improvisée et rassemblent nombre de Burkinabés. Les familles y viennent pour manger quelques brochettes, les plus fortunés achètent un tee-shirt du festival aux marchands ambulants qui se pressent aux portes d’entrée, les jeunes se rejoignent pour profiter du concert et s’abreuver de boissons fraîches. En ce sens l’événement est populaire, festif, bon-enfant. La réalité des salles de cinéma, objet principal du festival, est toute autre. Les occidentaux forment près de la moitié du public, les professionnels du cinéma africain l’autre moitié. Alors que les premiers se sont souvent payés des cartes qui leur donnent accés à toutes les séances, les seconds, en tant que professionnels du secteur, sont invités. Reste la population, qui n’est malheureusement ou heureusement ni occidentale ni professionnelle, et pour qui le cinéma reste un luxe éphémére. En effet, hors FESPACO, seules trois salles de cinéma fonctionnent à Ouagadougou. Pendant le festival, c’est plus de huit salles qui sont réquisitionnées et réhabilitées pour la durée de l’événement. Ainsi, même si le Burkina s’avère un pays moteur en matière de cinéma en Afrique, l’intérêt du public reste limité, limite fixée également par le prix des tickets pendant le festival. Comptez 1000 ou 1500 FCFA (2,5 euros) pour les grandes salles et 300/500 FCFA pour les petites salles de quartier. Ce qui nous semble dérisoire est assez conséquent pour les bourses locales. Tout cela pour montrer que le FESPACO, un des plus grand événement culturels de l’Afrique, est en fait partagé en deux. Il y a les Burkinabés qui profitent des concerts, des maquis et de l’ambiance festive du festival, et il y a les occidentaux et les professionnels qui eux voient des films, en discutent, en analysent le contenu. Ce qui leur permet d’aiguiser encore plus leur sens de l’image, d’apprendre par l’image et de percevoir une certaine réalité de l’Afrique. Le paradoxe est criant, évident. Ce festival qui est l’occasion de voir des films africains fait par des africains pour des africains se tranforme en festival professionnel exclusif. Dommage. 


Remise de l'Étalon d'or de Yennenga, récompense suprême, par le président du Faso, Blaise Compaoré
Mohamed Mouftakir remporte l'Etalon d'or avec son film "Pégase"


Salam, Jules, Issa, de belles rencontres

Julien, Anca et Salam
Ce temps passé à Ouagadougou nous a aussi permis de rencontrer des personnes très intéressantes autant dans le théâtre que dans le cinéma. Nous nous sommes liés d’amitié avec Salam, étudiant à l’Institut Supérieur de l’Image et du Son (ISIS). Salam est un brillant jeune réalisateur, pour qui le cinéma est un moyen d’expression et d’éducation. Dans ses films, il délivre des messages engagés sur l’immigration, le mirage du rêve occidental, l’autocratie de certains dirigeants africains… Aujourd’hui en Master 1, Salam a réussi à étudier grâce à son audace et à son courage. Après avoir fondé et animé un ciné-club au sein de son lycée puis au sein du FESPACO, il a été sélectionné pour un stage de deux mois à Paris à la FEMIS (grande école de cinéma). Ce stage subventionné lui a permis de mettre de l’argent de côté et ainsi de se payer sa première année d’étude à l'ISIS. Des soutiens financiers de ses proches et de grands cinéastes locaux lui ont permis de poursuivre en deuxième et troisième année. Sans quoi il aurait dû quitter l’école, étant donné le prix exorbitant des études de cinéma en Afrique.

Anca et Jules
Nous avons également passé beaucoup de temps avec Jules, comédien au sein de la compagnie Marbayassa et Issa Sinaré, le directeur artistique de la compagnie. Avant notre départ, nous étions entrés en contact avec Issa Sinaré qui nous a proposé une chambre dans la maison de la compagnie. Marbayassa est une des trois grandes compagnies du Burkina. Leur dernière création, qui tournera en avril en France, à St Etienne et Lyon, s’intitule Candide l’Africain. Une adaptation africaine du texte de Voltaire. Mais pour pouvoir fonctionner financièrement (aucune aide de l’Etat), Marbayassa passe une grande partie du temps à silloner le Burkina pour sensibiliser les villageois à des thématiques sociales et culturelles (mariage forcé, alimentation, accés à l’eau…). Ces thématiques définies en partenariat avec les commanditaires, des ONG et associations locales et internationales, sont abordées à travers le théâtre forum, qui permet une participation directe du public à l’acte théâtral. Etant donné la pauvreté et le peu d’éducation de nombreux Burkinabés qui vivent dans les villages, le travail de sensibilisation mené par Marbayassa est indispensable afin que les mentalités évoluent et que des actions soient mises en place localement pour une vie meilleure.
Issa
Issa nous parle de la difficulté pour les artistes africains de tourner en Europe. Outre le nombre de représentations qui leur est imposé dans des salles reconnues, une invitation de la part des structures françaises qui accueillent le spectacle, le coût élevé des visas, des billets d’avions et des autres dépenses nécessaires, ils doivent suivre une série de démarches qui ne sont pas des plus simples. Tous les papiers réunis, ils vont se présenter d’abord au Centre Culturel Français qui doit donner son accord. Ensuite ils vont déposer un dossier à l’ambassade de France, payer tous les frais nécessaires et attendre la convocation pour un rendez-vous individuel lors duquel malgré la pertinence du projet de tournée et la présence des justificatifs obligatoires tout peut encore basculer. Si tout se passe comme prévu ils obtiendront leurs visas mais le périple n’est pas encore terminé car ce visa n’a pas de réelle valeur et ne donne pas accés au territoire français. En effet, une fois arrivés en France, la douane de l’aéroport de destination doit les accepter sur le territoire français. Et malgré le visa, les justificatifs et le fait que la tournée soit complètement organisée, le douanier français peut refuser leur entrée sur le territoire et les renvoyer avec le prochain vol en Afrique. Le plus choquant est ailleurs : le refus d’entrée NE DOIT PAS être justifié ! Ces obsacles administratifs nous révoltent car nous avons l’occasion d’observer la facilité avec laquelle un français, artiste ou pas, peut voyager en Afrique. Le moins que l’on puisse dire est que le « Bonne arrivée ! » que nous recevons ici, y compris de la part des douaniers, n’est pas réciproque à la douane française.
Avec Jules nous échangeons beaucoup sur tous les a priori que l’on peut avoir en Europe sur l’Afrique et vice-versa. Il a voyagé sur les deux continents et malgré les difficultés dans lesquelles le milleu artistique burkinabé essaye de survivre, il n’a jamais voulu quitter définitivement son pays. Depuis plusieurs années il essaye de jongler avec les opportunités et les obstacles et de gagner sa vie en tant que comédien. Mais Jules n’est pas un simple comédien, il occupe avec un autre comédien, Léon, une place à responsabilités au sein de la compagnie, tantôt responsable des tournées et de l’administratif, tantôt responsable de la communication. Ces multiples casquettes sont le lot de nombreux artistes ici, qui pour vivre se doivent d’accomplir plusieurs tâches. 



-->

KOKOLOGHO


Repas avec les membres de l'association ADRI
Après une période d’immersion à Ouagadougou, nous avons rejoint la petite commune de Kokologho située à 45 km de Ouagadougou pour démarrer les ateliers de théâtre et de cinéma. Nous sommes logés au siège de l’association ADRI (Association Rurale pour le Développement Intégré). L’accueil et la gestion que Zouma, Mahamadi, les deux Brahima, Thomas, et Claudine nous ont réservé furent exemplaires et très chaleureux. Les premiers jours de notre arrivée furent consacrés aux visites officielles : préfecture, mairie, commissariat, rencontre avec l'inspecteur pédagogique et les enseignants, et visite au Palais de Kokologho où nous avons été reçus par le chef Mossi de la commune et par la reine. Les échanges ont eu lieu autour des calebasses de dolo - bière de mil très appréciée localement - avec laquelle nous tentons de nous habituer.
Malgré des conditions de vie auxquelles nous sommes peu habitués (pas d’eau courante, pas d’éléctricité, toilettes à l’africaine – cad un trou -, et chaleur permanente – près de 45 degrès en journée - ) et malgré les petits soucis techniques que nous connaissons avec le matériel (groupe éléctrogène défaillant pour le moment, ce qui nous a empêché d’organiser des projections de films pour le moment) le projet avait bien été préparé en amont par ADRI et les ateliers ont pu démarrer presque normalement.


Climat pré-révolutionnaire au pays des hommes intègres
Presque car voilà près d’un mois que les écoles et autres institutions scolaires du pays sont fermées. A l’origine de cette paralysie, des élèves et étudiants révoltés par le meurtre d’un de leur camarade à Koudougou – 50 km de Kokologho - il y a un mois par un policier. Suite à une dispute assez banale entre une fille et un garçon, les policiers ont enfermé le garçon pendant plusieurs jours. Ils l’ont interrogé, puis roué de coups. Le garçon, Justin Zongo, victime d’une hémorragie cérébrale diagnostiquée par un médecin à l’hôpital, est décédé peu de temps après. A la suite de cet assassinat, les autorités, au lieu de reconnaître leur tort, ont déclaré ceci : Justin Zongo est mort de méningite. Toutes, jusqu’au plus haut sommet de l’Etat, ont maintenue cette version des faits et la défendent encore aujourd’hui. Ulcérés par l’hypocrisie, l’injustice et l’irresponsabilité de leurs gouvernants, les élèves et les étudiants de Koudougou se sont mis en grève, ont manifesté, parfois avec violence face aux forces de l’ordre : commissariats incendiés, préféctures de polices caillassées…Cet événement ayant eu lieu juste avant que ne débute le FESPACO, le gouvernement a préféré fermer les écoles de la région et de la capitale afin de maintenir un semblant de calme et d’éviter toute manifestation nuisible au festival et à l’image du pays. C’est ainsi que depuis un mois la majorité des écoles du Burkina ne fonctionnent plus, les universités sont également fermées et surveillées par des policiers. Les militaires et la gendarmerie, dont la présence a fortement augmenté dans la capitale, répriment toute velléité de manifestation et d’information. Un ami bosniaque habitant Ouagadougou depuis 7 ans a fait 5 heures en cellule pour avoir filmé l’université vide, avec l’accord de certains policiers. Manifestement pas les bons. Son assistant, burkinabé lui, en a fait 24. A la radio, on parle de six morts lors de manifestations à Ouagadougou. Aujourd’hui, le climat est tendu, mais pas révolutionnaire. Sur les routes, les douaniers et autres forces de l’ordre organisent des barrages. IIs contrôlent les papiers des passagers et le véhicule. Pourtant ils ne recherchent personne en particulier. Mais on joue sur la peur, sur l’intimidation afin de calmer l’ardeur des insatisfaits et des mécontents. Montrer la puissance de l’Etat pour susciter la peur chez le peuple, telle est la stratégie adoptée par le gouvernement. 
-->
Comme bon nombre de dirigeants africains soutenus par les régimes occidentaux, Blaise Compaoré, le « président » du Burkina, siège sur son trône doré depuis 14 ans. Depuis son arrivée au pouvoir par un coup d’Etat - lors duquel il a fait assassiner le très aimé et révolutionnaire président Thomas Sankara -, les affaires de meurtres non élucidés d’étudiants et de journalistes sont monnaie courante au pays des hommes intègres. Cette nouvelle affaire est une goutte d’eau dans un vase déjà bien plein. Blaise est certes coupé de son peuple, mais pas du monde. Il voit ce qu’il s’est passé en Tunisie, en Egypte et maintenant en Lybie. Son trône tremble et il a peur de tomber. C’est pourquoi il tente de minimiser les secousses. Jusqu’à quand pourra-t-il le faire ?


-->
La « puissance » du moineau
22 mars. 22h. Ouagadougou. Nous sortons de l’hôtel Indépendance où nous venons de passer plus de deux heures au bar afin de profiter du wifi, moyennant un coca-cola à 1000FCFA (400FCFA ailleurs). Le bar est vide. Les clients de l’hôtel soit au restaurant, soit calfeutrés dans leur chambre à 65000 FCFA la nuit (100 euros), n’ont aucune idée de ce qui est en train de se passer dehors.
Nous sortons donc, enfourchons notre « moto » (mobylette) et regagnons le quartier où nous logeons, quelque peu excentré du centre-ville. Tout paraît normal lorsque en roulant il nous semble entendre un coup de feu. Un homme passe à côté de nous en hurlant « vous ne voyez pas qu’ils tirent, rentrez chez vous !». Nous continuons à rouler, déconcertés par la situation. 200 mètres plus loin, une trentaine de militaires, en uniforme et en civil, sont au milieu de la route, armés de kalachnikov. Ils discutent, s’agitent. Nous passons. S’en suit une longue ligne droite sur laquelle malgré l’obscurité, nous apercevons des groupes de gens regroupés de chaque côté. Puis deux militaires surgissent de nulle part et traversent la voie en courant, eux aussi sont armés. Nous arrivons à proximité de chez nous et prenons alors conscience de l’état de la situation. Sur le goudron (appellation locale qui permet de distinguer la route goudronnée de la piste en terre), tout près de chez nous, les maquis sont nombreux et la nuit tombée l’ambiance est d’ordinaire très festive : musique, clients en terrasse, vendeurs ambulants… Ce goudron est réputé pour grouiller de monde la nuit. Mais à ce moment précis où nous l’empruntons, la route est déserte. Les maquis sont fermés. Qu’est-il en train de se passer ? Des groupes de personnes sont regroupés sur le bas côté. Les militaires sont là, toujours armés.
Lorsque nous arrivons enfin chez nous, les premières séries de tirs se font entendre. Nous pensons aux événements de Koudougou (cf ci-dessus), aux révolutions tunisiennes et égyptiennes. Le Burkina serait-il en train de bouger aussi ? Les militaires tirent-ils sur la population ? A ce moment précis, notre imagination est grande.
Nous appelons alors Jules, un ami, qui nous donne trois versions des faits. La plus plausible, celle qui sera répandue le lendemain matin à travers la ville, est que deux militaires ont été jugés et ont écopés de 6 à 1 an de prison ferme. Clamant l’injustice de ce jugement, leurs collègues révoltés sont sortis et ont tirés en l’air afin de manifester leur mécontentement. Sans commentaire.
En fait, cette histoire est peu originale pour les Burkinabés qui connaissent des précedents similaires. En effet, il est déjà arrivé que les militaires et la police se fassent la guerre dans la rue ! Que la population n’ait rien à voir là-dedans mais encore une fois qu’elle en subisse les conséquences. Toujours est-il que cette nuit-là, les tirs ont duré jusqu’au petit matin sans que les gens sachent vraiment pourquoi.

Au réveil, les événements de la nuit sont sur toutes les lèvres. Que s’est-il vraiment passé ? Pourquoi les militaires ont-ils tiré en l’air toute la nuit ? Que va-t-il arriver aujourd’hui ? Nous apprenons tout d’abord par des amis que certaines personnes ont été blessés par des balles perdues, comme le voisin de Léon qui reçut une balle dans la jambe. Nous apprenons aussi que les militaires, non contents de semer la peur parmi la population, non contents de se sentir si puissants avec leurs armes, leur costume et leur cerveau de moineau, s’en sont pris aux commerçants et ont pillé plusieurs boutiques, récoltant ainsi de la nourriture, des boissons, mais aussi des frigos et d’autres matériels « high-tech ». Nous tentons d’avoir des informations officielles plus précises par les médias afin de comprendre ce qui est en train de se passer. Impossible. Cette nuit là est passée sous silence. Seul RFI dira deux phrases reprenant la même hypothèse celle avancée précédemment.

Cet événement nous a profondémment marqué. Par les bruits, les coups de feu, la ville morte et l’incompréhension générale. Par le silence des médias et des politiques sur cette affaire. Par la situation de paralysie de la ville créée en si peu de temps.
Mais ce que nous trouvons encore plus grave est la puissance et l’irresponsabilité de l’armée. Que dis-je ? L’idiotie de cette bande de moineaux écervelés qui n’ayant aucune conscience de la vie et de la mort, aucune empathie avec la population, peut prendre les armes à tout moment, piller les boutiques et faire la loi. Où sommes-nous ? Cet état de fait est le résultat de plusieurs années d’irresponsabilité politique, de corruption, d’autocratie, d’injustice et de mépris de la part des dirigeants. Les vrais responsables de tout ce bordel ne sont pas en treillis. Ils sont en costume trois pièces au plus haut niveau de l’Etat, protégés par la garde présidentielle et cautionnés par les régimes occidentaux. Leur mutisme est insoutenable. Leur attitude méprisable. Que dire de plus à propos d’eux ? Les mots nous manquent à présent pour exprimer notre dégoût face à ces hommes qui ne méritent même pas d’être humains.



19 avril. 
Le lendemain de la première mutinerie racontée ci-dessus, Blaise Compaoré a donné raison aux militaires en faisant libérer leurs deux collègues condamnés. Du coup, les magistrats du pays se sont mis en grève. Les étudiants pensent à présent à s'armer eux-aussi pour être entendu et les militaires sont sortis à plusieurs reprises et ont de nouveau tiré en l'air, pillé des boutiques, tabassé des passants, braqué des automobilistes, incendié des maquis... Le couvre-feu a été instauré dans la capitale. Nous le respectons à la lettre et faisons attention à nous, tout en restant ébahis et ulcérés par cette armée qui n'en est pas une. Et par l'impunité qui règne au pays des hommes intègres.
Plus de nouvelles sur ces événements dans les journaux traditionnels. Car ça y est, la nouvelle est arrivée par chez vous maintenant !